Une enveloppe jaune cachetée par le sceau au tigre à deux têtes, elle seule pouvait me l’avoir déposée. En ce jour glacé de novembre, je prends une année de plus. Les mortels ont si peu d’années à vivre, ils font la fête. Mais pour moi, ce jour n’a rien d’exceptionnel, j’en ai déjà tellement vécu. Et comme tous les 10 ans, venir dans ce chalet où j’ai vécu heureux et trouver ce pli qui n’avait rien de mystérieux, était un rituel que j’affectionnais. Je gardais l’espoir qu’un jour elle aurait envie de me revoir et ne se contenterait pas d’un simple mot posé devant ma porte. Savoir qu’elle est toujours en vie me procure une joie intense, mais penser qu’elle savait que je serais là et qu’elle ne souhaite pas venir me rendre une simple visite, me rend cette journée que plus triste.
Malgré le temps qui passe je me rappelle d’elle, de sa douceur, de son amour pour moi. Après avoir vécu les tourments de la guerre, nous avions emménagé sur les flans de cette montagne ou la terre était fertile et l’air pur, loin du bruit de la ville. Nous restions des heures entières, allongés l’un contre l’autre, dans le silence, à simplement profiter du moment présent, de la chaleur du soleil sur notre peau et de la vue sur les montagnes du nord et le volcan que j’avais vu en éruption étant jeune. Ce jour là, nous étions dans l’herbe que je venais de tondre, nous regardions les nuages passer au dessus de nous et l’odeur des roses fraîchement fleuries embaumaient l’air. Elle avait sa tête posée sur mon torse, ses cheveux caressaient mon visage et mon cou. Elle se sentait bien, son sourire illuminait ma journée. Il lui suffisait de me regarder et les étoiles que j’apercevais dans ses yeux me rendaient fou de bonheur. Quand elle était si près de moi, je me sentais apaisé, calme, cela me rendait tout simplement heureux. Ce jour là, mes doigts jouaient avec une mèche de ses cheveux tandis qu’elle fermait les yeux et soupirait de plaisir. Elle se tourna vers moi, posa ses mains sur mon torse et colla ses jambes contre les miennes pour sentir mon corps contre le sien. Alors je l’enlaçais, la serrant fort contre moi et ses mains se crispèrent sur mes épaules. Je lui embrassais ses cheveux bouclés et elle releva la tête pour m’offrir un baiser doux et sensuel. Je lui pris la nuque avec ma main, lui caressait le visage avec mon pouce et plongeait mon regard dans le sien. Elle me chuchota qu’elle était bien et je lui demandais de devenir ma femme. Sans réfléchir, sans mettre les formes, sans même se préoccuper du monde autour de nous, celle qui n’était pas si facile à dompter tant son autonomie lui tenait à cœur, se jeta sur moi et m’aplatit au sol. Son nez caressa le mien avant que ses lèvres ne rejoignent les miennes pour une série de baisers plus passionnés les uns que les autres, puis elle me susurra à l’oreille un « oui » dont la sonorité me fait encore frissonner.
Après quelques semaines à préparer les festivités, le jour de la noce arriva enfin. Le tohu-bohu des invités me fatiguait déjà et je n’avais qu’un désir, me retrouver dans ses bras pour profiter enfin de la douceur qu’elle m’avait jusqu’alors refusés. La journée allait être longue commençant par une cérémonie laïque des plus ennuyeuse, suivie d’une cérémonie religieuse pendant laquelle j’étais jaloux des personnes présentent qui ne parlaient pas le latin et n’avaient pas à subir les inepties de ce prêtre qui n’avait aucune empathie pour ses brebis. Puis faire le tour du village assis sur une remorque de paille tirée par des bœufs pris de façon totalement aléatoire dans les champs de la région, que pouvait on imaginer de plus ridicule pour ce jour de fête ? Quelles qu’auraient été les affres de cette journée, seul son bonheur pouvait me rendre heureux et à la voir souriante, profitant de ses amis, cela remplissait mon cœur de joie. L’ombre tournait si lentement sur le cadran solaire, elle me rendait fou de désir, je n’avais qu’une envie plus ardente que de profiter du moment, la serrer contre moi et m’endormir auprès d’elle.
Peut être aurais-je dû lui parler des immortels avant qu’elle ne le devienne à son tour. Peut être aurais-je dû lui parler de moi, de mon âge, de ma vie, des peines que j’ai dû surmonter. La vie avec elle aurait peut-être été plus simple si elle avait su la vérité dès notre rencontre et ne m’aurait-elle pas quitté en l’apprenant suite à une chute de cheval fatale. J’avais peur qu’elle me rejette en apprenant ce que j'étais et ce qu’elle serait aussi. Je pensais que nous serions heureux ici et qu’elle partirait d’une mort douce lui évitant de subir le poids des années et des siècles qui passent. Tant de questions qui resteront à jamais sans réponse, tellement d’années pour arriver à vivre sans elle et aujourd’hui, comme à chaque décennies, je reçois ce pli. Je pensais l’avoir oubliée, je l’espérais, mais cette habitude de venir en ce lieu rempli de souvenirs m’indique pourtant que non, et il me suffit de fermer les yeux pour sentir encore la douceur de sa peau glisser sous mes doigts et imaginer son odeur et sa présence auprès de moi. Je l’ai tant aimé et mon cœur blessé ne se remettra jamais de l’avoir perdue sans tenter de la retenir. Je ne me suis jamais pardonné de l’avoir laissée monter dans ce wagon qui l’emmenait loin de moi. Pourtant, malgré toute cette tristesse, Je préfère avoir connu une seule bouffée du parfum de ses cheveux, un seul baiser de ses lèvres, une seule caresse de sa main que toute une éternité sans elle, un seul instant... »
Alors j’ouvris enfin cette enveloppe, et y trouvais un papier plié en origami où il était juste écrit :
« Joyeux anniversaire »