Le plus ancien des immortels commença à émerger, la bouche pâteuse. Il avait très soif et voulut se lever mais son corps ne répondit pas. Il ne sentait plus ses membres. Cette sensation, il la connaissait.
- Drogué ! pensa-t-il.
Un début d’affolement s’empara de lui, mais il se raisonna vite. Non seulement paniquer ne servait à rien, mais pour l’instant il ne ressentait la présence d’aucun immortel à proximité. Petit à petit ses autres sens commencèrent à revenir. Après le mauvais goût dans la bouche qui ne le quittait pas, ce fut l’ouïe qui lui revint. Il commença à discerner des sons, un en particulier. Celui, inimitable, d’un train ; le son répétitif des roues sur les rails. Il n’entendait aucune voix, mais des grincements et des frottements, comme des caisses empilées qui tirent sur les cordes qui les retiennent. Il devait se trouver dans un
wagon de marchandises. Puis ce fut la vue qui lui revint, mais il ne vit rien, à part un rai de lumière qui filtrait à hauteur de ses yeux, comme à travers un couvercle mal fermé. Il devait se trouver dans une caisse… ce qui se confirma lorsqu’il récupéra l’usage de ses membres, ou plus exactement qu’il sentit que ceux-ci ne lui obéissaient pas, vu qu’il était ligoté et bâillonné.
Methos n’essaya pas de se débattre. Il était trop solidement attaché. Inutile de gaspiller ses forces. Il se détendit autant que possible et attendit. Il tenta de se rappeler les événements de la veille, en espérant qu’il n’était pas enfermé là depuis plus longtemps.
♦♦♦
La dernière soirée dont il se souvenait n’avait rien de mémorable puisqu’il l’avait passé seul à se torturer les méninges pour savoir comment il allait pouvoir échapper à la journée du lendemain. En effet, la veille de son anniversaire, enfin, plus ou moins. Entre son très grand âge, sa vie quelque peu flou d’avant son 1er Quickening et les différentes civilisations qu’il avait traversées et leurs calendriers respectifs tant religieux que
laïques, il ne savait pas exactement quel âge il avait ni la date précise de sa naissance. Il savait juste que ses 5000 ans devaient se situer entre le 20ème et le 21ème siècle. Et il avait eu l’idiotie d’en parler au Blue's Bar un jour. Cet info n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd, mais plutôt dans celle de son meilleur ami d’écossais. Résultat, celui-ci avait décidé que cette année 2000 était une excellente date pour souffler les 5000 bougies de l’ancêtre. Ça devait se passer en comité restreint vu le nombre d’ami de Methos, mais malgré tout celui-ci, n’y tenait pas trop. Certain pouvait penser qu’un anniversaire servait à se remémorer tout ce à quoi on avait survécu, mais pour Methos ça lui rappelait surtout tout ce et tout ceux qu’ils avaient perdu. Le seul problème, fut que devant l’engouement de ses amis pour cette idée, il n’avait pas su leur dire non. Et maintenant il se sentait piégé.
Son dernier souvenir de ce 19 juin était un glaçon qu’il faisait tourner dans un verre de scotch qu’il ne se rappelait même pas avoir bu.
♦♦♦
La réalité de sa situation se rappela à lui lorsqu’il sentit le train stopper assez brusquement. La malle dans laquelle il se trouvait fut soulevée sans ménagement avant d’être jetée dans un véhicule qui démarra aussitôt. Il n’arrivait pas à comprendre le sens de ce qu’il entendait, cerné par un indescriptible
tohu-bohu sonore.
Les sons disparurent soudain pour faire place à un silence des plus suspects. La malle fut déchargée et soudain le sang de Methos se glaça quand il sentit la présence d’un ou plusieurs immortels. La malle fut lâchée à terre et le couvercle ouvert. Deux hommes cagoulés le sortir de sa boîte, le mirent sur pied avant de le défaire de ses entraves et s’en allèrent en emportant la malle.
Quelque peu désorienté et engourdi, il ne se rendit compte de sa situation que lorsqu’il entendit la porte se refermer dans un fracas métallique, la porte… de la cage dans laquelle il se trouvait. Une cage ronde comme dans un cirque. Au milieu trônait une colonne d’un mètre de haut sur laquelle reposait un
cadran solaire. Methos s’approcha de l’objet. Le cadran était divisé en cinq parties égales sur lesquelles se trouvaient une bougie allumée et un autre objet. Il y avait là des chaînes, un angelot, une tête de mort, un
volcan et un
tigre de papier qui n’avait pu être réalisé que par un maître de l’
origami. La tige ou gnomon plantée au milieu projetait une ombre juste entre le volcan et le tigre.
Methos ne comprenait pas le sens de ce qu’il voyait, d’autant plus qu’au côté
mystérieux de la situation venait s’ajouter le côté inquiétant de ce ou ces immortels qu’il sentait toujours sans les voir.
Soudain, par delà la grille de la cage, sur un balcon, un homme apparut en pleine lumière, tel un monsieur Loyal. Il était d’un certain âge, cheveux et barbe grisonnantes, appuyé sur une canne. Methos le connaissait, mais quand il voulut l’interpeller, son nom lui échappa. A la place, ce fut un air de guitare qui se mit à lui trotter dans la tête. Ce n’était pourtant pas le moment.
L’homme ne lui laissa pas le temps de cogiter plus et prit la parole :
- Methos ! Tu as vécu 50 siècles. Par conséquent, si tu veux continuer à vivre, il te faudra répondre à cinq questions. Si tu échoues, tu devras affronter un autre immortel dans un combat à mort. A côté de chacune des bougies, il y a un indice sur ton adversaire. L’ordre de tes adversaires est
aléatoire. Tourne le cadran et le hasard décidera.
Et l’homme se sut.
Methos avait attendu la fin du laïus pour savoir à quoi s’en tenir. Il ne comprenait rien à tout cela. 5000 ans était-ce l’âge limite pour un immortel ? Il n’avait jamais rien entendu là-dessus, mais ils n’étaient pas foule ceux qui avaient atteint cet âge.
- Pourquoi ? demanda Methos. A quoi rime tout ça ? Qui a décrété que je devais me justifier d’avoir su rester en vie ?
- Quant-à la signification de cette épreuve, c’est toi qui en décideras, répondit l’homme de façon énigmatique.
Puis le balcon s’éteignit et l’homme disparut. Methos appela encore, mais la seule réponse qu’il reçut fut :
- Tourne le cadran.
L’immortel poussa un soupir et se dirigea vers la colonne. La première chose qu’il vit, fut son épée appuyée contre elle. Il poussa un soupir de soulagement en la saisissant et de son autre main, il prit le cadran par la tranche et le lança d’un mouvement sec. Il s’était attendu à ce que tous les objets soient éjectés sous l’effet de la force centrifuge, mais aucun d’eux ne bougea. Ce fut à peine si les flammes des bougies vacillèrent.
Quand le cadran s’immobilisa, l’ombre du gnomon traversait le secteur de l’angelot.
Methos n’eut pas le temps de se poser des questions, que la présence d’un immortel se fit moins diffuse. Il se tourna d’un bloc et se retrouva nez-à-nez avec un jeune blondinet, jean, tee-shirt déchiré et blouson de motard criard. Un sourire illumina le visage de Methos. Il le connaissait !
La voix de l’homme du balcon retentit soudain :
- Methos ! Donne-moi le nom de ton adversaire ou combat-le !
Le sourire de Methos s’accentua encore. Trop facile. Il s’agissait de… oui, c’était… il se rappelait très bien quand il lui avait dévoilé son identité au Joe’s Bar. Il se rappelait même… sa mort dans ce sous-sol sombre où il avait été tué par son mentor et meilleur ami. Le sourire de Methos se figea. Tout ça était absurde. Non seulement cette soudaine perte de mémoire, mais aussi que les morts ne pouvaient revivre, en tout cas, pas les immortels qui avaient perdu la tête.
- Temps écoulé, dit l’homme du balcon. Vous combattrez donc. Un seul d’entre vous survivra.
Le blondinet s’avança vers lui, épée en main, l’air déterminé à gagner. Methos voulut lui parler, lui dire qu’ils étaient amis, qu’ils n’avaient aucune raison de se battre, mais toujours à la recherche de son nom, il n’eut pas le temps de le faire, qu’il dut lever son épée pour parer le premier assaut.
Dans les premières minutes du combat Methos se contenta de défendre. Il ne voulait pas lui de mal. Pourtant, il comprit vite que l’autre ne céderait pas quand il sentit la lame de son épée passer si près qu’elle lui coupa une mèche de cheveux. Il n’était pas question qu’il se laisse
tondre sans réagir et il passa à l’offensive, son expérience mettant très vite le jeune homme à terre. Le plus ancien des immortels posa la lame de son épée sur le cou du gamin, mais un sentiment d’
empathie l’envahie soudain. L’angelot à ses pieds avait déjà été tué par un ami et il allait de nouveau l’être. C’était injuste. Mais l’homme du balcon l’avait dit : « un seul survivra » et Methos ne voulait pas mourir. Il leva son épée et l’abattit sur le cou de son adversaire, mettant fin, encore une fois, à sa vie. Et même si c’était impossible, s’il avait l’impression d’évoluer dans un cauchemar dont il allait se réveiller bientôt, il ne put s’empêcher de vomir devant le regard éteint posé sur lui.
Methos attendit le Quickening, mais rien ne vint.
- Souffle la bougie et tourne la roue.
Methos aurait voulu refuser, jeter son épée et dire qu’il abandonnait, mais au lieu de cela, il se dirigea vers la colonne, souffla la bougie puis relança le cadran. Cette fois-ci, le gnomon coupa d’une ombre malsaine les chaînes.
Le temps qu’il se retourne et son adversaire précédent avait disparu. A la place se tenait une femme, très belle, farouche, déterminée et… haineuse. Methos pouvait le sentir dans tout son être.
- Methos ! Donne-moi le nom de ton adversaire ou combat-le ! dit l’homme du balcon.
Encore une fois, le plus ancien des immortels savait qu’il la connaissait et encore une fois, il buta sur son nom. Et encore une fois, les images de leur passé commun remontèrent à la surface de son esprit. Il l’avait aimé. Il l’aimait… mais surtout, il l’avait trahie.
Et le combat s’engagea. Cette fois-ci Methos ne se contenta pas de défendre. Il savait son adversaire plus aguerrie que le précédent et malgré tout ce qu’il pouvait ressentir à son encontre, mourir n’était pas une option envisageable, même pour expier ses fautes. Il porta une
série de coups à l’immortelle qui para sans difficulté avant d’attaquer elle-même. Ils se rendaient coup pour coup. Le combat semblait devoir durer et Methos en avait déjà un à son actif et peut-être trois à venir. Il n’avait pas le temps de tergiverser. Alors que leur deux lames avaient glissées l’une contre l’autre jusqu’à la garde, Methos passa son bras libre autour de la taille de son adversaire et l’attira à lui bloquant ainsi leur mouvement à tous les deux. Elle tenta de lui résister, mais il se pencha vers elle et l’embrassa. L’ancien sentit le corps de la jeune femme se détendre entre ses bras et d’un geste brusque il la relâcha avant de reculer d’un pas. L’immortelle le regardait étrangement et abaissa son épée un instant sous le coup de la surprise. Erreur fatale. Methos put lire l’étonnement, puis la déception dans les yeux de l’immortelle quand il lui planta son épée en pleine poitrine avant de la décapiter.
De nouveau Methos attendit, et de nouveau il n’y eut aucun Quickening.
- Souffle la bougie et tourne la roue.
- Tu te répètes, marmonna l’ancien avant de s’exécuter.
Et ce fut le volcan que le sort désigna. Et ce fut la même question et de nouveau le néant pour la réponse. Et de nouveau, il savait qu’il la connaissait. Elle aussi très belle, des cheveux courts blond platine, mais il n’y avait rien d’amoureux entre eux cette fois, il s’agissait d’amitié. Malgré tout, s’il voulait vivre il allait devoir la tuer. Alors, il la combattit. Et tout en évitant ses attaques, il ne pouvait s’empêcher de repenser à leurs moments partagés, à ses éclats de rire ou ses colères volcaniques. Quelques soient ses actes, pas toujours très légaux, ils étaient toujours passionnées. Il lui était arrivé d’envier son amant… qui était aussi son ami, sans doute la seule raison pour laquelle il n’y avait jamais rien eu entre eux. Et cette adorable petite moue qu’elle faisait quand elle voulait se faire pardonner quelque chose… Ce fut cette image d’elle qu’il avait à l’esprit lorsqu’il prit sa tête.
Et toujours rien de plus.
- Souffle la bougie et tourne la roue.
Son souffle, il dut le reprendre avant de s’exécuter. Troisième combat et troisième victoire. Et même sans Quickening, son corps commençait à s’en ressentir. Il espérait que ses trois premiers adversaires étaient les plus coriaces. Pourtant, quand le cadran indiqua la tête de mort, il sut que le plus dur était devant lui.
Toujours la même question, toujours sans réponse, toujours un adversaire qu’il connaissait.
Cette balafre en travers de l’œil gauche qu’il lui avait toujours connu, ce sourire carnassier qu’à une époque il adorait voir s’épanouir, cette mort qu’il avait déléguée à un autre pensant qu’il serait incapable de vaincre. Aujourd’hui, sa vie ne dépendait plus d’un autre, mais uniquement de lui et le moindre doute risquait de lui être fatal.
Methos laissa son adversaire entamer le combat et tituba sous la première attaque, ainsi que sous la suivante et celle d’après. Son corps semblait ne plus vouloir lui obéir et il subissait, reculant pas à pas, se rapprochant d’une tombe dans laquelle il se sentait inexorablement attiré. Methos sentit soudain la lame de son adversaire mordre sa chair, lui entaillant le bras gauche et la douleur cuisante qu’il ressentit le réveilla soudain. Il ne savait pas si le balafré était un adversaire à sa portée, mais il avait un compte à régler avec lui, un compte vieux de 3000 ans dans lequel son second adversaire était impliqué. Et dans un sursaut d’énergie, le plus ancien des immortels reprit le combat, refusant soudain de subir. Son adversaire fut visiblement décontenancé de ce changement et se laissa vite déborder.
Methos se rendit compte qu’il connaissait l’immortel qu’il combattait, il connaissait chacun de ses gestes, chacune de ses attaques. Trop imbu de lui-même, il n’avait pas changé sa façon de se battre en trois millénaires alors que Methos lui, avait beaucoup changé. Et ce fut de l’incompréhension qu’il lut dans le regard de l’immortel qu’il décapita avec un plaisir qu’il n’avait pas ressenti pour les trois autres.
- Souffle la bougie.
Inutile de tourner la roue, il ne restait plus qu’un adversaire, le tigre. Un tigre dont il ne connaissait toujours pas le nom, mais qui était, il le savait, son meilleur ami. Une boule se forma au fond de sa gorge et il eut du mal à déglutir. Il savait que s’il y avait une personne contre laquelle il ne voulait pas se battre, c’était l’écossais et son katana.
Celui-ci avait apparemment moins d’état d’âme et il se jeta sur Methos sans sommation. L’ancien para le coup, ainsi que le suivant et contre-attaqua. Le combat semblait équilibré malgré la fatigue que ressentait Methos. Il avait toujours pensé qu’il serait capable de vaincre l’écossais, non seulement à cause de ses quelques millénaires d’expérience supplémentaire, mais aussi parce qu’avant d’accepter de le rencontrer, il avait étudié les archives de guetteurs le pour connaître. Seulement, de potentiel adversaire, l’homme au katana était devenu un ami. Cette pensée le fit hésiter un instant et il sentit la douleur dans sa cuisse quand la lame l’entailla et il mit un genou à terre.
Et alors qu’il allait perdre ce dernier combat, dans un sursaut d’énergie issu d’une irrépressible envie de vivre, il écarta la lame fatidique, avant de se dresser et trancher la tête de celui qui aurait pu être le dernier d’entre eux.
♦♦♦
Methos se réveilla en sueur. Il se sentait comme après un Quickening, et le plus violent qu’il n’eut jamais connu. Et quand il voulut se lever du canapé, il ressentit une douleur à la cuisse. Il saignait d’une entaille profonde, tout comme au bras gauche, avant de constater que son épée tachée de sang reposait près de lui. Il avait dû se couper pendant son sommeil… ou peut-être pas.
Methos ne savait que penser quand il tomba sur le mot qu’il avait reçu deux jours plus tôt avec une bouteille de scotch, un 50 ans d’âge. Un mot de ses amis qui lui souhaitaient un « joyeux anniversaire », certains qu’il ne viendrait pas à leur fête.
Après avoir soigné ses blessures, l’ancien fit son sac et quitta son appartement.
Ils étaient tous là, tout au moins le peu qui connaissait Methos, quand ils ressentirent soudain la présence d’un immortel. Toutes les têtes se tournèrent vers l’entrée où le héros de la fête fit son apparition. Il se dirigea vers eux et jeta son sac dans un coin.
- Je ne pensais pas que tu viendrais, dit l’écossais en lui tendant un verre.
- Je ne pensais pas venir, mais je me suis dit que si je ne venais pas à celui-ci, il risquait d’y avoir personne quand je fêterais mes 6000 ans.
Quand au sens de ce rêve ou de cette épreuve… il y avait ceux qu’il avait perdus par action ou inaction et il y avait ceux qu’il perdrait. Il avait tout un tas de regrets et il y en aurait sans doute encore. Aujourd’hui, la seule chose qu’il voulait fêter c’était l’instant présent avec ceux qui étaient encore là.